En vue de contribuer à la protection des masses d’eaux souterraines, le projet EPU karst s’est focalisé sur la présence de nitrates dans les aquifères karstiques. Ces aquifères présentent un réseau de fissure ouvertes, élargies par la dissolution du calcaire, et constituent de ce fait une roche-réservoir importante, d’où provient la plus grande partie de l’eau potable produite en Wallonie.
Cette étude expérimentale financée par la SPGE été coordonnée par l’asbl CWEPSS, la sprl Sanifox et l’ISSeP. Son déroulement s’est appuyé sur l’aide indispensable d’équipes de spéléologues pour réaliser les prélèvements d’eau, ainsi que sur les compétences de l’Université de Liège et de Traqua (spin-off de l’Université de Namur) pour des investigations spécifiques et l’interprétation des résultats.
Cinq systèmes karstiques de Wallonie qui bénéficiaient d’une bonne caractérisation préalable grâce à des études hydrogéologiques, ont fait l’objet de prélèvements d’eau tant en surface que sous terre (Figure 82). Ces 5 bassins calcaires présentaient tous des réseaux de grottes pénétrables par l’homme et parcourus par une rivière souterraine. Cette caractéristique morphologique a permis de disposer de points d’accès à l’eau souterraine où des prélèvements ont été réalisés en vue d’analyses utiles pour déterminer les flux de nitrates transitant par l’aquifère karstique.
Figure 82 : Bloc-diagramme d’un massif karstique reprenant les différents points où analyser les eaux.
L’intérêt et les enseignements les plus pertinents de l’étude tiennent à la comparaison des concentrations en nitrates dans les différents « compartiments » du karst :
Dans les cinq systèmes étudiés, les concentrations en nitrates ainsi que d’autres paramètres physico-chimiques ont été relevés sur chacun de ces points, tous les deux mois sur une période de trois ans. Sur base de ce vaste jeu de données (plus de 1000 échantillons, sur lesquels dix paramètres ont été suivis- tels quels pH, EC, T°, Redox, O2 dissous, [NO3], [NO2] et [NH4]) la volonté principale était de mieux comprendre la fluctuation des concentrations en nitrates dans chaque système, tant d’amont vers l’aval qu’au cours du temps et en fonction de chaque diffèrent contexte.
Les mesures ont également été comparées entre les systèmes karstiques, dans l’optique de déterminer si des critères géologiques, hydrologiques, climatiques, morphologiques, ou anthropiques (occupation du sol) propres à un site pouvaient être à l’origine de différences et/ou de convergences entre eux. Vu la multitude des critères qui influencent la concentration des nitrates, cette comparaison a ses limites. De plus, le karst répond en règle générale assez mal à la modélisation, car les caractéristiques individuelles de chaque système ont une incidence majeure sur la dynamique locale. Au-delà des comparaisons et des tendances générales qui se marquent sur l’ensemble des sites, chaque bassin étudié a apporté son lot d’informations intéressantes quant aux pics et variations des nitrates dans un aquifère calcaire.
Certains sites ont pu faire l’objet d’investigations complémentaires (analyses isotopiques, bactériologiques, mesures des nitrates en continu, screening des percolations), qui ont permis de conforter certains résultats et de mieux appréhender les dynamiques qui régissent la concentration des nitrates au sein du karst.
L’hypothèse de départ était que les écoulements très rapides entre pertes et résurgences au sein du karst devaient représenter l’apport principal en nitrates dans les eaux souterraines. Nos analyses et observations ont donné une lecture bien différente des flux et de la contribution de chaque compartiment du karst aux concentrations en nitrates retrouvées à l’exutoire sur les cinq bassins :
Entre la surface et le « toit » des grottes, la zone non saturée en eau du karst semble fonctionner comme « réservoir » à nitrates. Notre étude met clairement en évidence l’importance de ce stockage diffus dans cette partie normalement inaccessible et « invisible » du karst, qui a pu être analysée grâce aux prélèvements en grottes. En ce qui concerne les nitrates (mais très probablement aussi les pesticides), la zone non saturée et la recharge diffuse qui y transite constituent la porte d’entrée principale pour ces contaminants vers la nappe et les eaux souterraines.
Cette étude expérimentale et novatrice a porté un éclairage nouveau sur le comportement des différents compartiments du karst que sont les pertes, la zone non saturée et les rivières souterraines, et leurs contributions respectives aux concentrations (et bilan de masse) en nitrates observées aux exutoires. Il s’agit là d’investigations originales et d’observations inédites pour le karst en Wallonie, qui peuvent être utilement appliquées à la protection de la ressource en eau.
Le prochain défi sera d’adapter cette approche à la problématique du nitrate sur des prises d’eaux à risque, en collaboration avec les sociétés de captage. Vu les enjeux croissants d’approvisionnement en eau potable induits tant par les changements climatiques que par des problèmes qualitatifs, toute mesure contribuant à la préservation de cette ressource vitale, en garantissant sa pérennité qualitative et quantitative, est à privilégier.